La Subdivision de Djibo devenue Cercle suivant l’Arrêté N°443/INT/N°A du 20 Aout 1958, a eu la chance d’abriter les premiers agissements pour l’indépendance de la Haute-Volta, voire de l’Afrique. Il est vrai que depuis longtemps la localité a entretenu une culture d’hostilité vis-à-vis de l’école à l’époque dite coloniale et même aujourd’hui, bien qu’à force de sensibilisations et de prise de conscience, les classes soient de plus en plus pléthoriques. Mais malgré cette culture, les quelques rares personnes qui y sont allés ont su d’une manière ou d’une autre marquer la mémoire du colon et ne sont pas pour autant connus dans leur propre province d’origine, pour lequel ils ont souvent tant fait. Pendant que l’on assiste ailleurs à la célébration de personnalités dites éminentes telles que Maurice YAMEOGO, Gérard Kango OUEDRAOGO, MOGHO-NABA Kougri, Ouezzin KOULIBALY, dans d’autres pays, Léopold Sedar SENGHOR, Fulbert YOULOU, on oublie que ce sont eux qui ont refusé l’indépendance à l’Afrique en 1958 alors que dans le cercle de Djibo, plus précisément à FILIFILI, un jeune étudiant de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (F.E.A.N.F) et membre fondateur du Mouvement Africain pour la Libération Africaine (M.L.N.) se serait élevé contre toutes les autorités de l’époque allant des chefs coutumiers, commandant de cercle qui était Robert GUILLO(22sept. 1958-22 nov. 1959), et au chef du gouvernement, à l’époque Maurice YAMEOGO. Cet homme dont aujourd’hui dans la localité seuls quelques anciens du RDA et quelques uns de ses amis et parents de son FILIFILI natal et environ, peuvent se souvenir pour le fervent opposant qu’il a été pour eux s’appelle AHMADOU ABDOULLAHI DICKO. Il laissa au monde et plus particulièrement à la jeunesse africaine un héritage dans un livre qu’il intitula Le journal d’une défaite : autour du référendum du 28 septembre 1958 en Afrique Noire, qui, comme lui-même l’a dit, est un « journal de lutte et d’espoir » et qui fut d’abord édité par DAG HAMMARKSJOLD FOUNDATION en 1967, puis par L’HARMATTAN en 1992 avec une préface de Joseph KI-ZERBO.
Portrait
Personne ne pourrait mieux décrire cet homme que l’éminent Pr JOSEPH KI-ZERBO, qu’il repose en paix. Voilà en long, qui était AHMADOU ABDOULLAHI DICKO à la plume de du professeur qui fit la préface Le journal d’une défaite : autour du référendum du 28 septembre 1958 en Afrique noire:
« Il était frêle ; presque fragile, comme ses congénères peuls accrochés à leurs troupeaux errant dans la steppe sahélienne rôtie de soleil. Frêle, mais inflexible à la fatigue. C’était un homme simple d’allure, d’une élégance racée dans son costume européen et d’une simplicité prophétique dès lors qu’il revêtait le boubou africain de cotonnade. Le teint clair, le front haut, le visage d’une pureté ascétique, annonçait un être dépouillé de préoccupations mesquines. AHMADOU avait une intelligence lumineuse, à la fois limpide par sa rigueur analytique et dialectique par son aisance à sortir de toutes les embûches et à enfermer l’adversaire dans ses propres contradictions : un prince de l’esprit qui savait écouter sans interrompre et parler sans sobriété. Dans les innombrables débats d’une génération passionnée et libre, la parole de DICKO était rare et attendue. Le ton calme et doux savait s’élever avec ferveur lorsque l’essentiel était en cause. En effet, son intelligence n’était pas un microscope stérile et froid ; c’était un phare hissé sur une âme de feu. » Le professeur ajoute : « Dès qu’on était en sa présence, on captait l’aura d’un être consacré, dévoué : d’une générosité sans calcul, radical sans fanatisme, vigilante sans étroitesse de vue… Ce qui fascinait chez lui sans heurter, c’était cet équilibre rarement réalisé entre la perspicacité fulgurante de l’esprit, la sensibilité exquise du cœur aux problèmes d’autrui et l’élévation de l’âme vers la cime des grandes causes. Chez A. DICKO l’humilité personnelle ne fait que justifier et légitimer la fière intransigeance de ses grandes ambitions pour l’Afrique. Tel était cet homme, qui a pour ainsi dire traversé hâtivement les sentiers de la vie, sans avoir eu le temps se salir aux poussières du chemin. »
De sa mort, le professeur dira : « Un frère d’armes, un patriote africain pur et irréductible comme le diamant s’en est allé. »(cf. préface de Journal d’une défaite).
LA VIE D’UN GUERRIER
Officiellement, AHMADOU est né en 1932 à FILIFILI de la famille royale. A l’époque, Dotoka, Baraboulé et Filifili constituaient un seul canton. La capitale était Dotoka, et étant donné que c’était la même famille, la chefferie était tournante. Lorsque le patriarche de Dotoka mourrait, le trône revenait au plus âgé des membres de la division de Baraboulé et celle de Filifili. Le père de AHMADOU se nommait DICKO ABDOULLAHI SALOU et sa mère FATOUMATA HAMMADOUM.
Il est inscrit à l’école de Djibo en 1939 où il fait les seules classes de CEP1&2 et CE1, période pendant laquelle il perdit sa mère qui l’assistait à Djibo pour sa scolarité. Pour les classes de CE2 au CM2 il fallait aller les faire à Ouahigouya où il obtient son CEPE en 1945 après quoi, c’était l’étape de Bamako, la capitale. En effet, comme on le sait tous, à cette époque-là, la Haute-Volta n’existait pas et notre le Jelgooji relevait du Mali. De retour à FILIFILI son père refuse, la rentrée venue, de le laisser repartir pour ses études alors qu’il devait passer le test d’entrée à l’Ecole Primaire Supérieure (E.P.S) de Bamako, qui s’est changée plus tard en Lycée TERRASSON DE FOUGERE avant d’être aujourd’hui l’établissement que l’on appelle aujourd’hui le Lycée Askia Mohamed. C’est grâce au nouveau directeur de l’école de Djibo qui se nommait Noumountché KONE que le jeune homme réussit à partir pour Bamako. Le directeur de l’école aurait menacé de dénoncer ABDOULLAHI à l’administration s’il ne laissait pas son fils aller continuer ses études. C’est ainsi que AHMADOU arrive à Bamako et trouve que le test était déjà passé. Par chance il rencontra un de ses enseignants nommé BOUGOURAOGO OUEDRAOGO qui, connaissant ses mérites, lui fit inscrire en classe de sixième. Noter que ce Bougouraogo OUEDRAOGO est celui qui a été le premier ministre de l’information du Burkina Faso. AHMADOU se distingua en devenant major de sa promotion les quatre années qu’il y fit. Après avoir obtenu son BEPC en 1949, il dût aller continuer ses études à Dakar au Lycée Van VOLHOVEN aujourd’hui appelé Lycée Lamine GUEYE. Il étudie alors à Dakar jusqu’à obtenir son Baccalauréat en 1952 et est admis à l’Université de Toulouse où il adhère à la F.E.A.N.F et y était honoré pour ses écrits et conférences qu’il donne et surtout à l’occasion de la commémoration aux 21 février de la journée de solidarité anticolonialiste. Il participe à l’assemblée constitutive du M.L.N avec JOSEPH KI-ZERBO, ALBERT TEVOEDJRE et CHEIKH HAMIDOU KHANE, entre autres. Courant 1958, alors qu'il préparait une thèse de doctorat en Lettres d'espanol, avec les crises qui éclatent en Afrique entrainant le retour de CHARLES DE GAULLE au pouvoir en France, ces étudiants reviennent en Afrique pour militer pour l’Indépendance immédiate de l’Afrique par le vote du > au référendum du 28 septembre proposé par DE GAULLE. Dans un climat tendu, où les dirigeants politiques sur place étaient acquis à la cause des colons, si corrompus soient-ils, AHMADOU ABDOULLAHI DICKO fut le seul parmi ceux cités plus haut à venir au BURKINA FASO contre des chefs politiques comme Maurice YAMEGO, Ouezzin KOULIBALY, Gérard KANGO, religieux, et même coloniaux à l’exemple de Robert GUILLO, commandant du cercle à l’époque, pour faire la campagne du >. Il parcoure son DJELGOODJI natal, Ouahigouya, Ouagadougou la capitale politique, et Bobo-Dioulasso celle économique. Des meetings, des conférences et des tête-à-tête avec des hautes personnalités de l’époque. Il repart pour Toulouse le 07 novembre 1958 avec un échec forgé par des gens comme MAURICE YAMEOGO. Mais de cette tournée, il lègue aux générations d’historiens une œuvre intitulée Le journal d’une défaite : autour du référendum du 28 septembre 1958 en Afrique Noire. Dans les débuts de la décennie 1960 il revient au pays et enseigne deux ans au Lycée Municipal de Bobo. Il est atteint d’un cancer de vessie, puis, envoyé à l’hôpital Necker à Paris, il est ramené à l’hôpital de Bobo non soulagé et y succomba le 04 mars 1962. Il repose aux cimetières municipales de Bobo dans le quartier de Dioulassoba depuis cette année-là et son œuvre demeure jusque-là méconnue de ses proches, les jeunes Djibolais et même beaucoup de ceux qui font des recherches sur la localité. Le Pr KI-ZERBO y est allé plusieurs fois dont une fois avec sa femme Jacqueline. A ma visite de FILIFILI le samedi 28 aout 2010 je constatai combien ces paysans qui n’ont jamais été l’école et qui ont été mis à l’écart par l’administration même actuelle, connaissaient Joseph KI-ZERBO mieux que bon nombre de nos étudiants d’aujourd’hui.
MOUSSA DICKO, Historien-Archéologue.
Contact : +226 71 22 18 52 ; e-mail : nibelche@yahoo.frhttp://www.facebook.com/pages/Ahmadou-Abdoullahi-DICKO/136946829708523http://www.lefaso.net/spip.php?article37421
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