Devoir de mémoire sur l’année 1958
Nous sommes le 10 décembre 2012 Cela fait 52 ans et plus d’un mois que
la Haute-Volta, actuelle Burkina Faso prône son indépendance à l’instar de
seize autres pays africains. A la date de la commémoration de ladite
indépendance, cela fera également 53 ans exactement que la Haute-Volta est
devenue une République, soit du 11 décembre 1959 au 11 décembre 2010. Nous
allons encore voir des gens se pointer devant nous et seront vu au delà de nos
frontière grâce au satellite de la RTB et tout fiers, ils nous chanteront la
gloire de Son Excellence Maurice Yaméogo, premier président du Faso. Que
Maurice est merveilleux ! Qu’il est bon ! Qu’il est fort ! Un
grand combattant ! Un grand patriote ! Le père de l’indépendance du
Burkina Faso ! Et quoi encore ? Il s’est tant battu pour ouvrir aux
générations d’après 1960, un avenir glorieux en faisant en sorte qu’elles
trouvent un pays indépendant après des années d’asservissement. Voilà un homme
charismatique. Il a dit un jour de 1960, plus précisément le 05 août, ce qui
suit : « je déclare solennellement l’Indépendance de la République de
Haute-Volta !» Et ce cri a retenti dans le monde entier. Aujourd’hui
encore, ce passage d’une page à l’autre de l’histoire de la Haute-Volta, on
nous le fait voir et revoir à longueur de la journée sur les ondes de la RTB.
Voilà un fier voltaïque qui a fait la fierté de milliers d’autres, et fait
aujourd’hui chanter et danser. Mais là, un véritable problème se pose. On est
allé tellement vite que beaucoup ne peuvent rien comprendre. Comment la
République de Haute-Volta est-elle arrivée à l’indépendance ? Pour ceux
qui aiment se contenter du peu, ils savent seulement que Maurice Yaméogo s’est
battu et la République a accédé à l’indépendance. Cependant à y voir
clairement, il ressort que la bataille pour les indépendances de l’Afrique
francophone a été plus rude en 1958 qu’en 1960. Et ça, c’est une des vérités de
notre histoire que les acteurs politiques ont travaillé à effacer, à faire
oublier. Même dans les livres d’histoire, on s’est débrouillé pour être le plus
bref possible quand on parle de l’année 1958. On s’attelle seulement à dire
qu’en 1958, un référendum constitutionnel pour une communauté franco-africaine
a été proposé aux africains et métropolitains et que la constitution fut largement
acceptée par les concernés. On omet volontairement toutes les vérités sur
l’année 58. Qu’en est-il réellement ?
Souvenez-vous quand même que l’immédiat après seconde guerre mondiale n’a
pas été une période de paix ! La montée des nationalismes dans les
différentes colonies tend à déstabiliser les gouvernements métropolitains.
C’est ainsi que la crise profonde de l’Algérie va soulever les craintes du
gouvernement français. Alors, le président Réné Coty fit appel en 1958 au
Général Charles De Gaulle afin qu’il forme un nouveau gouvernement et
intervienne auprès des différentes colonies pour sauver la politique française.
De Gaulle était réputé ami de l’Afrique et des africains depuis qu’il s’y était
« réfugié », pardonnez ma séverité dans l’expression, en 1942 pour
organiser « la résistance » de LA France LIBRE. Certains diront tout
de suite qu’il ne s’y est pas réfugié mais plutôt qu’il s’y est rendu pour un
seul but, celui d’organiser la résistance. Mais on ne va pas jouer aux mots.
De Gaulle fait alors appel pour un référendum constitutionnel, le 28
septembre 1958. Il fit pour cela le tour de l’Afrique francophone pour faire sa
propagande afin de convaincre les Etats africains à dire « oui » à la
constitution. Le vote du « oui », les bulletins jaunes, équivaudrait
à l’acceptation d’une communauté dite FRANCO-AFRICAINE, où la France et
l’Afrique francophone auraient une constitution commune, les mêmes
institutions, avec chacun une autonomie ; et le vote du « non »,
les bulletins mauves, signifierait l’accession à l’indépendance et à la souveraineté
internationale. C’est à cette époque-là que des étudiants de la Fédération des
Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et quelques uns de leurs
prédécesseurs créèrent le Mouvement africain pour la Libération Nationale (MLN)
en vue de faire la campagne pour l’Indépendance immédiate de l’Afrique. Parmi
eux figuraient Cheikh Hamidou KHANE, le Pr. Albert TEVOEDJRE, Jacqueline
KI-ZERBO et son mari le Pr. Joseph KI-ZERBO (décédé en 2006), Ahmadou
Abdoullahi DICKO (décédé en 1962), etc. Revenus en Afrique pour l’occasion, ils
se battent contre vents et marrées pour que l’Afrique accède à l’Indépendance.
Malheureusement, sur leur chemin, ils se heurteront à l’administration
coloniale (les commandants de cercles de l’époque), et des leaders politiques,
religieux et coutumiers acquis à la cause de la France. Pendant que le Mogho
Naba Kougri faisait venir ses collègues de toutes parts du Burkina et leur
appelait à faire voter pour la France tout en menaçant même d’exécuter tout
citoyen de sa ville qui voterait « non », Maurice Yaméogo prônait que
« seuls les fous et les démagogues peuvent revendiquer
l’indépendance ».
A travers l’Afrique entière à l’exception de la Guinée, on a vu solliciter
même aux grands marabouts et sorciers de faire toutes les prières ou tous
sacrifices nécessaires pour que l’Afrique n’accède pas à l’indépendance. Des
gens comme Maurice Yaméogo, Ouezzin Coulibaly, Gérard Kango, et hors du
Burkina, l’intello Sédar SENGHOR, les Fulbert YOULOU, etc., tous se sont laissé
corrompre. Nous pourrions parler d’eux tous dans cette forme de lâcheté sans
jamais en finir. Mais contentons-nous de parler de celui-là que l’on nous
présente tous les jours bon gré mal gré, celui-là qui est supposé être le
meilleur. Maurice Yaméogo, ancien commis expéditionnaire de l’administration
coloniale qui a servi pendant un temps à Djibo, en collaboration avec ses amis,
a tout mis en œuvre pour que De Gaulle remporte au Référendum. Et au soir de la
proclamation des résultats définitifs, le 03 novembre 1958, il proclamait vive
De Gaulle, vive la France, vive la Communauté, et ce après un score d’environ
99% pour la pauvre Haute-Volta.
Tous les pays francophones s’allièrent pour ne pas dire renouvelèrent leur
aliénation vis-à-vis de la France, sauf un seul, la Guinée de Sékou TOURE qui
n’a pas passé par mille chemins pour dire « non » à la France, et
cela « sans complexe ». L’historique phrase de Sékou TOURE retentit
encore dans les savanes Africaines : « nous préférons
l’indépendance dans la misère que la richesse dans l’asservissement ». Le
reste de l’Afrique, par le biais de leurs dirigeants s’est laissé corrompre
pour la plupart pour des miettes, des fausses promesses, des menaces,
l’ignorance.
Certains sont allés jusqu’à dire que c’est en cette année-là que De Gaulle
initia les africains à la fraude électorale, qu’on n’échappe jusqu’à présent
pas. En effet, nombre de villages n’ont pas vu les bulletins mauves (ceux du
« non ») et dans certains comme beaucoup de villages du Soum, c’était
le chef de Canton qui venait voter pour tout son village et même de la part de
ceux-là décédés depuis des années ou allés en transhumance. Ce témoignage nous vient
de Ahmadou A. DICKO qui, à l’issue de ce référendum a laissé un ouvrage sur sa
campagne pour le « non ». Ecrite sous le titre Le journal
d’une défaite : autour du référendum du 28 septembre 1958 en Afrique noire,
l’œuvre de Ahmadou reste aujourd’hui,
plus que jamais, un ouvrage à très grande portée politique et historique pour
le Burkina Faso, voire l’Afrique noire toute entière.
Sa version des faits est bien confirmée par les villageois de ces centons
que j’ai pu rencontrer en août 2010, en prélude des célébrations des
indépendances africaines. Après ces événements, il n’y a pas eu réellement de
luttes. Naturellement, les promesses françaises n’ont pas été tenues. Les
institutions siégeaient en France et tous les postes et services clés étaient
réservés aux français, le traitement des salariés comme des autres citoyens
différaient de la France à la métropole, l’exploitation des « indigènes »
n’était pas abolie. C’est dans ces circonstances que le Général De Gaulle
commença à « distribuer » le statu de République. La Haute-Volta prit
sa part le 11 décembre 1958 et devint indépendante le 05 août 1960. « Les
leaders voltaïque de l’époque voulaient accéder à l’indépendance mais dans une
concertation avec la France », a tenté de nous faire croire le Dr. Pierre
Claver Hien, au panel organisé le 29 mars 2012 à Ouagadougou pour
l’inauguration des activités commémoratives du cinquantenaire. Appréciation de
cette phrase laissée à chacun des lecteurs ! Docteur en Histoire
politique, personne ressource sur les questions burkinabè, et beaucoup d’autres
qualifications auxquelles je suis très loin d’approcher, j’ose avouer ne pas
avoir la même appréciation du refus d’indépendance en 1958. J’ose croire que ce
n’est pas pour les yeux doux des politiques qui ont organisé ces conférences,
puisque les politiciens passeront mais pas les écrits et l’écrit ou la
conférence de l’historien reste et l’histoire va juger !
De plus, quand on revient quelque peu que ce soit sur le discours de
Maurice Yaméogo on peut comprendre mieux. Une indépendance octroyée en signe de
reconnaissance d’amitié, avec accords de marchés, une indépendance qui comporte
en elle-même les germes de sa propre aliénation. A lire entre les lignes du
discours de proclamation de l’indépendance, comment peut-on en être
satisfait ? Comment, un burkinabé qui n’est ni sourd, ni aveugle
puisse-t-il voir et entendre proclamer cette indépendance et dire qu’elle est
réelle ? Ou bien, va-t-on me dire que les gens ne pourraient comprendre
que cette indépendance est proclamée, la France à l’honneur ? En écoutant
bien, on entend bien Maurice dire, « au nom de la liberté, de l’égalité et
de la fraternité, je déclare solennellement l’indépendance de
la République de Haute-Volta ». C’est ce genre de discours qui ont obligé
Lumumba à hausser le ton à la date d’indépendance du Congo, le 31 janvier 1961.
En effet, les termes de Liberté -Egalité -Fraternité, ne sont rien
d’autre que la devise de la France. Quand on est indépendance on ne jure pas du
nom ou de la devise du colon ! Non ! Sinon, où est notre indépendance
ou pourquoi a-t-elle été placée sous les signes de la France ?
L’une des conséquences probables, la France a continué à faire et défaire
les régimes africains jusqu’à nos jours dans les pays africains où les gens
n’ont pas travaillé à redorer leur image. L’invitation est formulée à l’endroit
de tous les burkinabé, de bien vouloir fouiller un peu plus dans l’histoire du
Burkina Faso, surtout en ce que concerne les années dont on ne parle que brièvement.
C’est riche d’enseignements et ça nous aidera à mieux préparer le centenaire.